le terrain des tennis

 
 
Histoire peu commune d’un terrain au cœur de notre commune


 « Elle est d’une vulgarité, vous ne trouvez pas ! ». C’est ainsi que s’exprimait la vilaine qui regardait s’éloigner, raquette à l’épaule, courte jupette clapotante, l’une des femmes les plus mignonnes que Saint Nom ait jamais abrité.  « La tigresse », comme les sportives qu’elle terrorisait la surnommaient, était dans les années 70 la tenancière du club de tennis. Elle n’aimait ni les femmes ni les enfants.   Des caqueteuses et des piailleurs. Vous font rater les points importants ».
  
Le propriétaire du terrain, Mr Hardelay, vivait alors avec sa légitime à Chavenay.   Il avait fait construire le club house afin d’y loger sa maîtresse et aménager des courts afin de lui confier une activité. Mais, sous la férule du dragon, l’établissement ne faisait guère recette. L’amant se lassa-t-il du faible rapport de sa propriété ou des charmes de la gardienne ? L’histoire ne dit pas quel fut le bon ordre. Toujours est-il qu’il loua son terrain à une association sportive, dont les initiateurs - des joueurs du club - avaient vu venir la rupture du couple illégitime.
 
Cela s’est passé en 1979. Que de péripéties depuis, jusqu’à aujourd’hui !
 
La première fut un fort Chabrol.
 
Le changement de gérance du club du tennis s’accompagna en effet d’un épisode comme il ne s’en rencontre que dans les annales les plus clochemerlesques. Une bande de parisiens avait pris l’habitude de venir passer leurs week-ends au club de St Nom avec femmes et enfants pour y pique-niquer et y jouer toute la journée, monopolisant à tour de rôle à leur profit les courts en terre battue. Le bureau de la toute nouvelle AST St Nom voulut y mettre le hola et établit un règlement de réservation des courts. La smala se rebiffa. Jusqu’au jour où on en vint aux mains, puis des mains aux armes, carabine et pistolet que les envahisseurs sortirent de leurs voitures. Les membres du bureau durent se replier et s’enfermer dans le club-house. Ils n’en sortirent qu’à l’arrivée de la gendarmerie qu’ils avaient appelée au secours. Laquelle embarqua tout le monde. Il fallut s’expliquer au poste. Les membres du gang jetèrent leur pile de cartes à la figure du président de l’Association. On ne les revit plus.
 
Les finances du club auraient pu en souffrir si n’étaient advenues les années folles d’un sport popularisé par la télévision avec les Borg-McEnroe-Connors. Le club connut alors une affluence deauvillesque. Avec une pointe de 800 cotisants en 1982, alors que le village ne comptait que 2.500 habitants.
 
Ils ne furent plus que 300 en 1990 alors que dans le même temps, conformément au projet tout personnel du maire d’alors, Jacques Kosciusko-Morizet, la population de St Nom avait augmenté en flèche. Comme bien des modes vite apparues, la mode du tennis s’était dégonflée. Et ce d’autant plus vite que les cadres dynamiques qui avaient élu domicile à St Nom et aux alentours perdaient le souffle au fur et à mesure qu’ils prenaient des responsabilités, du ventre et de l’âge.
 
Un autre incident contribua à faire baisser la fréquentation : celle d’un professeur de tennis indélicat, responsable de l’école de tennis, voulant imposer sa loi à l’association en brandissant en assemblée générale une brassée de pouvoirs. Les présents s’énervèrent pour de bon, évincèrent le putschiste et ne renouvelèrent pas son contrat. Lui et ses affidés rejoignirent un autre club.
 
Vint le moment où, faute d’un nombre de membres suffisant, le club n’arriva plus à assurer la rénovation ni même l’entretien de ses cours. Il alla crier famine à la mairie. Celle-ci accepta, sans rechigner, de le subventionner. Mais à doses homéopathiques. Elles ne suffirent pas à adoucir la pente du déclin des inscriptions , descendues à une petite centaine.
  
Il fallait que le vieux club offre un nouvel attrait. Son président, Bernard Dholande (le patron du grand garage Renault fut président de l’AST pendant une dizaine d’années) a l’idée d’y mettre une bulle. La commune accepte de la financer. Las !  le Maire et l’architecte des Bâtiments de France rejettent la vision du gros zeppelin vert foncé proposé à proximité de l’église classée du village. Dholande revient à la charge avec une bulle en plastique transparente, un prototype dont le gonflage à St Nom constituerait une première mondiale. L’architecte est snob, cette fois, il autorise. Hélas ! , peu de temps après son installation, pfffff… la bulle implose. Le fournisseur la remballe, la renforce et la ramène. Trois fois hélas ! , aussitôt ré-enflée, elle se déchire, rend haleine et agonise dans un remarquable ralenti de battement d’ailes.
 
Finalement, un classique morceau de pneu fera le dos rond sur le court en 1996. De guerre lasse ! , l’architecte des Bâtiments de France avait laissé faire. Le maire d’alors, Mr. Chêne, se frotte les mains d’avoir offert un abri contre la pluie aux 250 enfants (fils et filles de 500 électeurs) de l’école de tennis.
 
Maintenant que voilà le court numéro 1 couvert de vert, le nouveau président du club, Bernard Dorin, se tourne vers les 13.000 mètres carrés de l’autre moitié du terrain. Il considère le grand parking vide (qui ne sert vraiment que lors de la brocante) puis il laisse vagabonder son regard sur les colchiques et boutons d’or qui folâtrent dans le vaste pré, quand ils ne sont pas écrasés par la noria de roulottes et de camions des gens du voyage. « Faudra mettre des plots en béton à l’entrée, se dit-il. » Il se dit aussi que ce terrain vaut une fortune et qu’il est absurde de laisser le club agoniser  auprès d’un tel magot. La mairie pourrait acheter le terrain, en faire lotir la moitié vacante et dispenser le club de ses  lourds loyers et taxes foncières. Dorin voit le nouveau maire, G. Chetochine. Mais celui-ci argue que la mairie ne peut acheter un terrain privé. Il octroie néanmoins à l’Association la prise en charge de l’équipement en éclairage de nuit de 2 courts.
 
Son successeur à la mairie en 2002, Jean Pierre Gaugenot, a davantage le sens du devenir. Il pense que si on ne fait rien on peut se retrouver un beau jour avec un karting ou un dancing sur la moitié vacante et inconstructible du terrain.Il propose au notaire des héritiers Hardelay un permis de construire sur la moitié du terrain contre la donation à la commune de la moitié tennis. « Et, pour rendre hommage à leur tennisman de père, on lui y élèvera une statue. Comme pour Roland Garros». Les cinq enfants Hardelay qui tirent un peu le diable par la queue sont davantage sensibles à la perspective de voir tomber du ciel quelques centaines de milliers d’euros chacun. Ils acceptent le principe du deal. Plutôt qu’un monument en mémoire de leur père, ils préfèrent que la mairie garantisse formellement que la partie sportive du terrain le demeurera  et ne pourra en aucun cas faire l’objet d’une urbanisation.
Gaugenot signe. Mais ensuite aucune formalisation de cet accord ne viendra le rendre définitivement valable. Or le notaire, qui est un «rusé», peut très bien confier à un promoteur la moitié du terrain rendue constructible par une modification du PLU engagée par la mairie (ce qui se produisit) et, en l’absence d’une donation faite en bonne et due forme, ne pas honorer sa parole de donner à la mairie la moitié tennis (ce qui, en apparence, se produira).
 
Les élections municipales de 2007 lui  donnaient  en effet une  magnifique occasion de se tenir embusqué … et, éventuellement, de rouler son monde.
Car il n’y a toujours pas de donation formelle de la moitié tennis pour 1 euro symbolique ni de bail emphytéotique (99 ans, gratuit), ou de bail emphytéotique transformable ultérieurement en donation, comme cela a aussi été envisagé entre deux bail-lements.
Mais il y a bien un promoteur de ses amis que le notaire des Hardelay a désigné : ce promoteur obtient une promesse de vente des héritiers et dépose un permis de construire pour 13 pavillons (un par mille mètres carrés).
  
Manuelle Wajsblat qui se présente aux élections contre Jean-Pierre Gaugenot fait campagne en disant qu’elle n’aime pas trop cet arrangement. Ce n’est pas qu’elle craint ce genre de scène de western où sa main gauche devrait tendre le texte d’un accord contresigné tandis que sa main droite se tendrait vers un vague papier tenu par le notaire des frères Dalton. Non, elle n’est pas du genre à avoir froid aux yeux et elle détient une arme à deux canons : la constructibilité et le permis de construire. Quand, deux ans après avoir été élus, elle et son équipe découvrent et comprennent tous les tenants et les aboutissants de l’affaire, non seulement ils rejettent l’arrangement prévu par la municipalité précédente mais ils lui substituent l’idée d’un autre deal, radical celui-là : acheter tout le terrain.
 
Madame Wajsblat avait contacté le notaire des Hardelay afin d’obtenir la donation prévue en bonne et due forme de la moitié tennis à la commune. Or celui-ci ne répondit pas. Son staff harcela les héritiers Hardelay et leur notaire. Courriers, lettres recommandées, appels téléphoniques se multiplièrent. Ces interventions furent appuyées et relayées par le notaire de la Mairie et par un avocat appelé à la rescousse. Rien n’y fit. La partie adverse faisait la sourde oreille. Plus que çà, en Juin 2009, par un acte de congé livré par un huissier de justice, elle mit en demeure l’association qui gère le club de tennis de quitter les lieux.
 
 Tout juste avant que le permis de construire demandé par le promoteur ne devienne en l’absence d’opposition de la mairie tacitement valable, Madame Wajsblat et son notaire décident de précipiter les choses : par un jour neigeux d’hiver ils se rendent chez le notaire dans le Calvados. Quand, à la nuit tombée, ils entrent dans l’étude meublée de chêne sombre et aux croisées tendues d’épais velours cramoisis, les cinq descendants Hardelay sont là, assis en arc de cercle autour du notaire. Façon balzacienne, genre antagonique.
 
-  Nous sommes là pour vous demander de respecter votre engagement sur la donation de la partie sportive .
-  Les loyers sont impayés depuis 2.006. Cela fait 160.000 € .
-  La commune vous les versera. Y compris les intérêts. A discuter
-  Bien. Allez-vous vous opposer au permis de construire régulièrement demandé pour la partie constructible ?
-  La question n’est plus là. On vous la rachète, au prix de la promesse de vente à votre promoteur : 2,2 millions €.
Stupeur dans l’assemblée. Echanges de regards interloqués. Le notaire pâlit : il pense au promoteur et à tout ce qu’il peut espérer en lui permettant de faire affaire.
-  Quand, risque le fils aîné Hardelay ?
-  Tout de suite. 
Les cinq héritiers désargentés avalent leur salive.
Le notaire tente :
-  Et si je … euh … si nous refusons ? 
-  Nous préemptons le terrain.
 
Préempter cela signifie qu’une mairie peut se porter acquéreur prioritaire d’un terrain, et ce dans trois cas : pour des raisons d’utilité publique, pour y créer des logements sociaux, pour contrer une vente louche aux conditions financières manifestement basses. Madame le Maire parle d’utilité publique ; elle agite aussi – un peu abusivement – l’idée de logements sociaux.
 
 Bien des anges sont passés, les cerveaux des héritiers ont été secoués par des calculs tourbillonnants qui ont fait s’évaporer la perspective éventuelle non moins tourbillonnante mais utopique de revendre aussi un jour eux-mêmes la partie tennis du terrain en roulant les représentants de notre commune comme la conduite ambiguë de leur notaire pouvait faire croire que c’était  leur intention cachée.
Le notaire de notre mairie rompt le silence et fait valoir aux héritiers qu’en faisant affaire avec la mairie de St Nom ils touchent le même prix qu’avec leur promoteur. –« Par contre, vous le touchez sûrement et vous le touchez tout de suite. On lui rembourse aussi le coût de la promesse de vente que vous lui avez signée. Alors où est le problème ? Vous n’avez aucune raison de nous dire non. »
Et Manuelle Wajsblat d’exhiber une garantie de paiement du Trésor Public de Marly le Roi.
Des chaises craquent. Les héritiers flanchent. Le notaire des Hardelay n’ose plus invoquer le tapis tiré sous les pieds de son ami promoteur. Les enfants Hardelay finissent par accepter. Mais, pour ne pas perdre la face, ils le font sous condition :  que Mme le Maire confirme la promesse d’affectation exclusive au sport de la moitié sud du terrain de son prédécesseur. Elle y souscrit volontiers.
 
Même sans champagne ni calva, le retour de Normandie à St Nom est autrement plus joyeux que l’aller. D’autant plus qu’on se dit que si le notaire des Hardelay avait été plus malin, il aurait pu aboutir à ce qu’il voulait depuis belle lurette ! …
 
Fureur du promoteur qui perd son affaire et se considère comme lésé. Il intente une action en justice contre la préemption de la Mairie devant le tribunal administratif de Versailles, l’accusant d’avoir préempté avec des intentions sans vraie réalité d’utilité publique ou sociale, donc pour abus de pouvoir.
 
 La mairie a lancé un appel d’offre pour la partie immobilière du terrain et branché un bureau d’étude sur la création d’un pôle sportif dans la partie tennis.
En ce qui concerne la partie immobilière, le cahier des charges est d’y construire des logements de taille réduite destinés à de jeunes couples et à de vieux habitants du village désireux d’y vivre une retraite dans des locaux de taille réduite. La mairie veut également disposer de quelques appartements à loyers modérés pour des employés municipaux ; d’une maison médicale de 250 mètres carrés ; et d’un lot de places de parking public, ces derniers éléments qui habillent l’ensemble d’un côté «  social » à la saintnonnaise étant à la charge du promoteur.
Onze promoteurs ont été invités à présenter un projet : l’un d’entre eux a été choisi ; il s’agit de Nexity, dont le projet a été présenté en Décembre 2012 à la  population.
L’opération ne concerne plus 13 maisons mais 70 logements environ. ( Ce qui soit dit au passage amènera non plus une cinquantaine de personnes de plus à Saint Nom mais plus de deux centaines ! Et ces appartements et maisons n’auront, vu le prix au mètre carré - 5 à 6.000 € -, rien de social). Elle est par contre bien plus juteuse : la multiplication par cinq ou six des 13  logements initialement prévus permet à la mairie de revendre le terrain à Nexity pour deux fois le prix d’achat. Madame le Maire pourra consacrer la superbe plus-value au réaménagement de la partie sportive. Non plus seulement à l’amélioration des tennis mais à la création d’un véritable ensemble multisports. 
 
Le tribunal administratif de Versailles a donné tort au promoteur du notaire des Hardelay.
 
Madame le Maire a réussi un joli coup financier. Mais la situation n’est pas réglée pour autant. En effet pour réaliser son opération immobilière avec Nexity la mairie a dû procéder à une révision du Plan Local d’Urbanisme de façon à, entre autres, modifier le coefficient d’occupation du terrain Hardelay afin d’accueillir l’ensemble des logements (le COS passant de 0,25 à 0,45). Or, à peine adopté, ce PLU fait l’objet d’un recours en contestation de la part d’habitants et d’une association de St Nom. Principalement en raison du permis de construire accordé à une moyenne surface dans la zone artisanale et d’autres points de moindre importance d’ailleurs plutôt que contre le projet Nexity-pôle multisports en lui-même. Mais le résultat sera le même. La procédure judiciaire retarde l’opération immobilière. Elle supprime surtout de facto l’auto-financement par la commune du projet sportif. Il faudra quasiment tout emprunter.
  
Or l’ambitieux projet de l’équipe municipale coûte cher.
 
La municipalité précédente avait concocté un projet de taille modeste mettant sous une structure fermée 3 terrains de tennis supplémentaires, dont un terrain polyvalent basket-badmington-gym … pour un coût, optimiste, de 2 millions d’euros.  A cette structure pouvait être ultérieurement rajouté un nouveau club-house avec (enfin !) de vrais vestiaires.
 
L’équipe municipale actuelle a vu plus grand. Deux courts de tennis couverts dont les joueurs et l’école de tennis manquent diablement, oui sans aucun doute. Mais pourquoi pas ne pas y englober dès le départ vestiaires et club house ? Et surtout pourquoi  ne pas offrir à ceux qui ne jouent pas au tennis une salle de sport multifonctionnelle de 800 mètres carrés permettant basket, volley-ball et gymnastique ? Y inclure un dojo moderne de 300 mètres carrés n’augmentant pas beaucoup la facture, il est décidé de le faire aussi.
 
Le coût est de bien plus du double de celui du projet précédent. Il est même passé de 3.8 millions à 4.3 millions  HT et hors bureau d’études (au minimum 5.3 millions taxes et études comprises). Or si l’affaire de la partie constructible et habitable du terrain n’est pas résolue en faveur de la Mairie, la mise en œuvre de ce projet devra passer par l’emprunt : un emprunt de l’ordre de 3 à 4 millions d’euros, se rajoutant à la dette existante.
 
 Pourquoi pas, disent les partisans du pôle multisports, si cela multiplie pour tous les possibilités de faire du sport dans de très bonnes conditions ? D’autant plus que la salle de gym de 300 mètres carrés du centre JKM est d’une taille  insuffisante, que les jeunes n’ont pas de terrain abrité pour pratiquer de manière régulière certains sports collectifs, que le dojo pour les arts martiaux qu’abrite la Mairie dans son sous-sol n’est plus aux normes … Nos édiles ajoutent que plus le projet est diversifié (le tennis étant considéré comme un sport de riches), plus il obtiendra de subventions des conseils général et régional.
 
 « Démesure », disent les autres. Un ensemble sportif aussi ambitieux n’est pas destiné aux seuls 5.500 habitants de St Nom mais aux 22.000 habitants de l’intercommunalité de St Nom à Maule qui vient d’être créée. Or ce sont les contribuables de Saint Nom qui vont rembourser les emprunts, intérêts et capital. Et qui payera, poursuivent-ils, les frais de fonctionnement ? Ils représentent généralement 5% de l’investissement global : cela fait entre 200 et 250.000 € de plus chaque année … etc …

Les arguments des antis se polarisent autour d’une contestation du choix du terrain : au terrain actuel des tennis qui, comme contractuellement promis aux héritiers Hardelay, doit demeurer un lieu consacré au sport, ils préfèreraient les terrains entourant la maison des loisirs JKM pour y abriter au moins les activités sportives autres que le tennis.
Une association a déposé un recours devant le tribunal administratif contre la modification du PLU ayant permis la mise en œuvre du projet d’ensemble actuel.
 
Ce recours n’étant pas suspensif, la mairie a fait démarrer les travaux en Juillet 2013 comme prévu.
 
 Jean François DELASSUS